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24 mai 2015 7 24 /05 /mai /2015 11:48

Elle était blonde ou châtain clair, mesurait environ 1,60 mètres, portait une blouse courte, une jupe de laine s’arrêtant au genou et une ceinture ornée d’un disque de bronze figurant le soleil.

Pendant l’Age de bronze, elle arpentait d’un pas alerte les régions correspondant aujourd’hui à l’Allemagne et à la péninsule du Jutland, au Danemark. Elle est morte pour une raison inconnue alors qu’elle avait entre 16 et 18 ans, et a été enterrée un jour d’été il y a près de 3400 ans, dans un cercueil de chêne, découvert en 1921 dans le village danois d’Egtved.

La blouse et la jupe de la fille d'Egtved © Scientific Reports

Une équipe dirigée par Karin Margarita Frei, du Musée national du Danemark à Copenhague, a réussi à retrouver son origine probable et à montrer qu’elle avait parcouru 2 400 kilomètres au cours des quinze derniers mois de sa vie, en utilisant des indices basés sur l’analyse des cheveux, des ongles, des dents et des vêtements de la jeune fille.

La tombe de la fille d'Egtved © Université de Copenhague

C’est la première fois que des scientifiques réussissent à retracer aussi précisément les mouvements d’une personne de la préhistoire, comme l’explique Margarita Frei sur le site de l’université de Copenhague. Les chercheurs ont mené une véritable enquête de police scientifique à partir des restes de la fille d’Egtved, qui constituent l’une des plus célèbres découvertes archéologiques du Danemark. Elle a été retrouvée en 1921, ensevelie sous un tumulus de 4 mètres de haut et 22 mètres de long. Son cercueil fait d’un tronc de chêne évidé a pu être daté par dendrochronologie à l’année 1370 avant notre ère, donc il y a un peu moins de 3400 ans. Elle a été enterrée avec des fleurs qui indiquent que les funérailles ont eu lieu en été. A côté d’elle ont été retrouvé les restes carbonisés d’un enfant de six ans, ainsi qu’un seau qui avait contenu une boisson fermentée, sorte de bière faite avec du miel, de la myrte et de la canneberge.

Mais l’élément principal de la découverte était constitué des restes de la jeune fille, dont les cheveux, les dents et les ongles avaient été remarquablement préservés. Ses vêtements, une blouse courte, une jupe faite avec des fils de laine, d’une longueur de 37 cm, et une ceinture avec un disque de bronze, ainsi qu’un peigne, étaient exceptionnellement bien conservés. C’est à partir de ces éléments que l’équipe scientifique a tenté de reconstituer l’histoire de la fille d’Egtved. Les résultats sont publiés dans la revue en accès libre Scientific Reports.

Schéma des échantillons utilisés pour reconstituer l'histoire de la fille d'Egtved © Scientific Reports

La première constatation importante est que cette jeune fille de l’âge de bronze n’était pas originaire de la région où elle a été retrouvée. Les scientifiques ont utilisé comme indice la signature isotopique du strontium, élément très répandu dans la croûte terrestre, dont les isotopes ne se répartissent pas de la même façon selon les régions. Comme ce strontium est fixé par les tissus biologiques, il donne une indication de l’orignine de ces tissus.

« J’ai analysé la signature isotopique du strontium dans l’émail de l’une des molaires de la fille d’Egtved, explique Karin Margareta Frei. La dent était complètement formée quand la jeune fille avait trois ou quatre ans. L’analyse montre que la jeune fille est née et a vécu ses premières années dans une région géologiquement plus ancienne et différente de la péninsule du Jutland au Danemark », la région où elle a été retrouvée.

Pour retracer les déplacements de la fille d’Egtved, les scientifiques ont analysé ses cheveux. Ces derniers constituent une archive temporelle, du fait qu’ils poussent au rythme d’environ 1 cm par mois et fixent la signature éléments correspondant à la région où se trouve le sujet au fur et à mesure qu’ils poussent. Les cheveux de la fille d’Egtved, longs de 23 cm, constituent donc une mémoire de ses déplacements pendant les deux dernières années de sa vie. L’analyse montre qu’elle a fait un long voyage peu avant sa mort.

« Si nous considérons les deux dernières annéesde la vie de cette fille, nous voyons que 13 à 15 mois avant sa mort, elle a séjournée en un lieu où la signature isotopique du strontium était très similaire à celle de la zone où elle est née, dit Karin Margareta Frei. Puis elle est allée dans une région qui pourrait correspondre à l’actuel Jutland. Après y être resté 9 ou 10 mois, elle est retournée dans la région d’où elle était originaire et y est restée entre 4 et 6 mois avant de se rendre là où elle a été enterrée, à Egtved. Ni ses cheveux ni l’ongle de son pouce ne contiennent de signatures du strontium indiquant qu’elle soit retournée en Scandinavie avant la toute dernière période de sa vie… Elle a donc dû retourner (sur le site de l’actuel) Egtved environ un mois avant de mourir ».

Si la fille d’Egtved n’est pas née au Jutland, d’où venait elle. En associant les résultats de leurs analyses du strontium avec des données archéologiques, les chercheurs sont parvenus à la conclusion que le plus plausible est que la jeune fille soit venue du sud de l’Allemagne, plus précisément de la région de la forêt noire, à environ 800 kilomètres d’Egtved. Les vêtements fournissent une indication supplémentaie.

« La laine dont été faite ses vêtements ne vient pas du Danemark et les valeurs des isotopes du strontium varient beaucoup d’un brin de laine à un autre, explique Frei. Cela prouve que la laine provenait de moutons qui ont pâturé dans différentes aires géographiques sur une zone étendue, avec une géologie complexe, et cela correspond aux caractéristiques de la Forêt Noire ».

Selon les archéologues, il y avait pendant l’Age de Bronze des relations proches entre les régions correspondant aujourd’hui au Danemark et au sud de l’Allemagne.

« Pendant l’Age de bronze en Europe de l’ouest, le sud de l’Allemagne et le Danemark étaient deux zones d’influences importantes, analogues à des royaumes, explique Kristian Kristiansen, de l’université de Gothenburg. Les traces archéologiques montrent beaucoup de connexions entre ces deux zones. Mon hypothèse est que la fille d’Egtved venait du sud de l’Allemagne et a été donnée en mariage à un homme du Jutland, de manière à sceller une alliance entre deux familles puissantes. »

Ce type d’alliance aurait pu servir à favoriser le commerce de l’ambre, qui était alors l’une des principales ressources du Danemark, et qui était acheminé en grandes quantités vers la Méditerranée, avec l’aide d’intermédiaires en Allemagne du sud. L’hypothèse de Kristiansen pourra être étayée en analysant les restes contenus dans d’autres tombes de l’Age de bronze danois.

La fille d’Egtved conserve toutefois une grande part de mystère. On ignore toujours pourquoi elle morte si jeune, et pourquoi elle a tant voyagé pendant les deux dernières années de sa vie.

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